Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
CHARLES GUÉRIN.

sur le canapé, sa broderie était par terre, son autre bras laissait tomber ouvert à demi le livre dont elle avait essayé la lecture. Le petit boudoir était meublé avec luxe ; Clorinde à-peu-près maîtresse de ses actions copiait à la campagne ce qu’elle voyait chez ses amies de la ville.

Un guéridon en bois de rose était couvert de riches albums, de keepsakes, que dominait un vase de porcelaine rempli des plus belles fleurs, produit d’une serre à laquelle nos lecteurs savent que la jeune fille consacrait une grande partie de son temps.

Cette chambre ouvrait d’un côté sur le grand salon de la maison et de l’autre sur une chambre à coucher.

Mlle. Wagnaër était beaucoup plus pâle qu’à l’ordinaire, son sein était agité, et il y avait dans sa pose nonchalante plus de découragement que de mollesse. Elle tressaillit tout-à-coup : un bruit très léger, à peine perceptible, avait causé ce mouvement : c’est qu’il y a quelque secret avertissement magnétique, qui révèle l’approche d’une personne aimée, surtout dans les heures d’angoisse que l’on éprouve à son égard.

— Je vous attendais, dit-elle d’un air triste et presque solennel au jeune homme qui entrait dans ce moment dans l’autre salon, précédé par une jeune fille de chambre espiègle et gentille, depuis peu au service de la maison.

— Anna, dit-elle, si M. Voisin se présente, fût-il même accompagné de mon père, vous lui direz qu’il ne peut pas me voir ce matin. L’impression que fit ce peu de mots sur l’étudiant se traduisit immédiatement sur ses traits.

— Je vois avec plaisir, dit Clorinde, que vous vous résignez à vous séparer de votre inséparable.

Le ton d’ironie avec lequel ces paroles étaient prononcées fit voir à Charles qu’il était deviné. Son visage était de ceux sur lesquels on lit mieux que dans un livre.

L’heure était solennelle et tous deux comprirent au premier