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CHARLES GUÉRIN.

— Mais sans doute.

— Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites, monsieur le fat ?

— Mais elle laisserait tout pour moi !

— Alors la chose est bien simple. Il faut, si l’on persiste à la marier avec Voisin, ou le tuer en duel, ou enlever Clorinde.

— Un duel ! un enlèvement !

— Cela ou rien du tout.

— Tu as peut-être raison. Quel mal leur avais-je fait à ces gens-là ? Henri Voisin a fait plus que de me tuer. Il a brisé mon avenir. Il a tué ma pauvre mère, qui ne survivra peut-être pas à ce dernier coup.

— Oui, il y a deux espèces de meurtriers, ceux qui tuent lentement et ceux qui tuent promptement, ceux qui tuent froidement par intérêt, avec calcul, et ceux qui tuent par passion, par colère, par vengeance, et presque sans savoir ce qu’ils font ; ceux qui rencontrent leur adversaire en face, qui risquent leur propre vie, qui le combattent franchement, et ceux qui assassinent lâchement avec impunité par ruse et par trahison. Je ne suis pas duelliste ; j’ai horreur de celui qui donne la mort sous quelque forme que ce soit ; mais je te dirai ceci : de tous les criminels, le plus vil, à mon avis, c’est l’intrigant qui, pour faire son chemin, jette la désolation dans toute une famille, sans s’occuper si la mort ne viendra point sur les pas de la misère ; l’intrigant qui, pour se composer une existence à son goût, prendrait sans hésiter l’existence de trois ou quatre de ses semblables, pourvu que cela pût se faire légalement et avec impunité. J’ai eu tort de te parler de duel ; mais dans un premier moment, quand j’ai appris cette vilaine affaire, si j’avais tenu Voisin à une portée de pistolet, je l’aurais tué comme un chien..

La triste pensée d’avoir contribué au malheur de son ami en le mettant en rapport avec Henri Voisin, augmentait encore l’exaltation de Jean Guilbault. Incapable de faire de sang-froid le moindre mal à son ennemi personnel, l’idée de l’injustice et de