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CHARLES GUÉRIN.

bal bien souvent, n’est-ce pas, afin que je sois bien fière de toi et bien heureuse.

Pierre était fort embarrassé, pour répondre à toutes ces belles choses, lorsque la cloche de la petite église, au bout de la pointe, vint le tirer d’affaire. Trois tintons annoncèrent l’Angelus. Aussitôt les deux frères et la sœur, debout, et la tête nue, se recueillant, récitèrent lentement les versets de cette gracieuse prière qui, à trois reprises différentes, sanctifie la journée des catholiques. C’était un spectacle touchant que de voir ces jeunes personnes à peine sorties de l’enfance, élever pieusement leur voix vers le ciel et résumer dans leur naïve dévotion toute la jeunesse, toute la fraîcheur, toute la virginité de la nature à demi sauvage qui les entourait.

Profitons de leur pose recueillie, pour donner d’eux le portrait ou plutôt l’esquisse que nos lecteurs ont droit d’attendre, et commençons par notre héros principal. Charles Guérin était d’une taille et d’un tempérament délicats, ses yeux étaient d’un gris foncé presque noirs, ses cheveux châtains ; il portait, ainsi que son frère, le capot bleu aux nervures blanches, uniforme des élèves du séminaire de Québec[1], mais si le costume était le même, la tenue de l’un était aussi soignée et recherchée que celle de l’autre était délabrée. Malgré les courses de la journée et près de deux mois de vacances, Charles portait encore comme au jour des examens, serrée autour de sa taille, la ceinture de laine bigarrée, qui à cette époque n’avait pas encore été remplacée par le ceinturon vert, beaucoup moins original à notre goût. Une propreté poussée jusqu’à la coquetterie régnait sur toute sa personne, ses cheveux peignés et lissés avec art, sépa-

  1. L’Établissement de ce nom ainsi que plusieurs autres du même nom n’est pas, comme un étranger pourrait le croire, uniquement destiné à former les jeunes gens pour l’état ecclésiastique. C’est un collège, dont le plus grand nombre des élèves entrent dans les professions libérales, et deviennent, comme nous l’avons déjà dit, avocat, prêtre, notaire ou médecin ; ou autre chose quand ils le veulent et le peuvent.