Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
CHARLES GUÉRIN.

— Eh ! bien, elle a été vendue.

— À qui ?

— Au bonhomme Jean-Pierre.

— Combien ?

— Neuf cent vingt-cinq louis.

— Si tu savais ce que je sais !

— Je ne le sais pas ; mais je m’en doute.

— Quel malheur ! Quelle infamie !

— Que veux-tu ? C’est ma faute. Tu es bien trop bon d’être venu exprès… je ne le méritais pas, moi qui ne t’avais parlé de rien. Quand es-tu parti de Québec ?

— Ce matin à six heures.

— Mais tu dois être mort de fatigue : et ton cheval doit être rendu.

— C’est le deuxième. J’espérais être ici à temps.

— Mais tu dois être moulu.

— Bah ! je n’y ai point songé. Tout mon regret, c’est d’arriver trop tard.

Madame Guérin s’était habillée à la hâte et elle insista pour que l’hôte qui leur arrivait réparât ses forces. Elle improvisa une petite collation à laquelle fit honneur l’appétit de Jean Guilbault, lequel même à son état normal, sans être aiguisé par l’exercice et la fatigue, n’était pas à dédaigner.

Charles resté seul avec son ami demeurait partagé entre la honte et la reconnaissance. Il y avait dans le procédé de Guilbault tant de générosité et de dévouement, et sa position à lui-même semblait si ridicule qu’il osait à peine parler de ce qui s’était passé.

Heureusement, il est des gens avec lesquels il est difficile de rester longtemps mal à l’aise.

— Ah, ça ! fit Jean Guilbault, après quelques instans de silence, j’espère que tu ne comptes pas en rester-là avec M. Wagnaër ? Il y a bien un proverbe anglais qui dit qu’il est trop tard de fermer récurie quand le cheval est dehors ; mais enfin