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CHARLES GUÉRIN.

sion pour l’anatomie était si grande, qu’il était ordinairement le héros et le chef des expéditions nocturnes, quelque peu périlleuses, auxquelles ses confrères étudians étaient obligés d’avoir recours pour se procurer des sujets.

Son patron était un des médecins les plus distingués de la ville, un véritable savant, qui fesait de la médecine et de la chirurgie son unique occupation, et qui même fesait un peu, ce que, dans l’école romantique, on appele de l'art pour l'art. Il s’était attaché à son élève, et le conduisait à sa suite avec lui dans les hôpitaux, et souvent dans sa pratique privée. Le jeune homme avait d’ailleurs tant de gravité, de décence, et un goût si prononcé pour sa profession, que, dans beaucoup de familles, on n’était point fâché de le voir remplacer son maître, lorsque celui-ci était trop occupé.

Vers l’époque où fut vendue la terre de Charles Guérin, il se trouvait parmi la clientelle de seconde main de notre jeune esculape, un malade du nom de Guillot. C’était un caboteur, capitaine d’une goélette qui naviguait entre la paroisse de R… et Québec. Ce pauvre garçon qui tendait à la pulmonie, à l’occasion d’un voyage par lequel il réalisait de plus grands profits qu’à l’ordinaire, avait fait une vieille fête, comme il disait dans son style de marin, et commis des excès qui l’avaient mis à la porte du tombeau. Il avait dû rester chez des parens en ville tout l’hiver, et grâces aux soins de Jean Guilbault et surtout au régime qu’il lui avait prescrit, sa guérison avançait, quoique lentement

Pour peu que les caractères soient naturellement sympathiques, il s’établit presque toujours une certaine intimité entre le malade et le médecin. Il faut que votre confiance soit bien dure à gagner, si vous ne la donnez pas à l’homme qui vous a sauvé la vie. Les allures franches et le sans-gêne de l’étudiant, convenaient parfaitement à l’humeur du marin, qui lui raconta tous les détails de sa vie, existence accidentée et pit-