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CHARLES GUÉRIN.

tures de la maison l’air frais et légèrement imprégné des exhalaisons salines du grand fleuve.

Il eût été difficile de dire si elles travaillaient en causant, ou si elles causaient en travaillant, car leur conversation, sur un sujet étranger à leur petite besogne, était à chaque instant entrecoupée de phrases qui n’avaient rapport qu’à leurs occupations.

— Mais à la fin, sais-tu où est allé ton frère, que nous ne l’avons pas vu depuis le déjeûner ?

— Chez M. Wagnaër, bien sûr.

— Si matin ? Cela n’est pas possible. — Oui maman, je l’ai vu ensuite qui sortait avec M. Wagnaër et M. Voisin ; ils s’en allaient tous les deux vers la pointe, du côté de l’église.

— J’espère que ton frère n’allait pas mettre ses bancs, sans m’en avoir prévenu…

— Vous dites cela en riant ; mais je ne serais pas surprise s’il y avait quelque chose. Clorinde n’est pas la même depuis quelques jours : elle est d’un sérieux !…

— Sens-tu l’odeur de ces lilas ? Ils me rappellent le temps de ton pauvre père. Nous les avons plantés nous-mêmes l’année de notre mariage. Comme j’étais heureuse alors !

— Allons, petite maman ; vous n’êtes pas si malheureuse aujourd’hui. Est-ce que Charles et moi nous ne vous rendons pas heureuse ?…

— Enfant que tu es ; ce n’est pas un reproche que je veux te faire ; mais tu sais bien que rien ne me fera oublier ton père ? … et puis encore…

— Je gage que vous allez parler de Pierre… vous ne vous ôterez jamais cette idée !

— Et je puis si peu la supporter qu’il vaut mieux parler d’autre chose.

— Parlons de notre jardin. Comme il va être beau cet été !