Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
CHARLES GUÉRIN.

et que la terre s’enfonçait sous ses pas… .puis il entendit la voix du crieur répéter avec une solemnité affectée : À neuf cent louis… une fois… deux fois…

Pendant ce temps, le vieillard qui avait lutté si énergiquement s’avancait d’un air triste et résigné. C’était un petit vieux, courbé en deux, la tête chauve, le corps grêle et tremblottant, et qui fesait pitié à voir. Comme il passait tout près de Charles, il releva la tête ; et comme un homme qui fait un dernier et inutile effort, il fit un léger signe de la main.

— À neuf cent vingt-cinq louis, cria l’huissier.

Et il répéta sur tous les tons la même kyrielle.

Charles sentit comme un poids qui lui tombait de sur les épaules. Il se retourna pour parler à M. Wagnaër ; mais il le vit qui s’en allait à grands pas avec l’avocat Voisin, et son commis Guillot.

— À neuf cent vingt-cinq louis, une fois deux fois… à neuf cent vingt-cinq louis, M. Guérin avez-vous fini ?

Charles perdit la tête tout-à-fait et n’eut pas le courage de proférer une seule parole, ni de faire le moindre signe. Il était comme pétrifié.

— À neuf cent vingt-cinq louis… une fois… deux fois… trois fois… au père Jean Pierre ! Vous êtes tous témoins que j’adjuge la terre et les dépendances en question, au Sieur Jean Pierre, cultivateur, à raison de la somme de neuf cent vingt-cinq louis. Allons, père Jean Pierre, venez faire votre marque sur mon procès-verbal. Je vous en fais mon compliment ; et comme c’est vous qui signez à ma première criée, j’espère que vous me donnerez votre pratique pour les petites affaires que vous avez.

Tandis que d’une main tremblante le père Jean Pierre traçait, sur le procès-verbal de vente, une espèce d’hiéroglyphe qui représentait sa signature, les vieillards qui étaient assis au pied du mur du cimetière s’approchèrent de lui.