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CHARLES GUÉRIN.

Ça compromettrait-il votre crédit ? Ça dérangera-t-il vos affaires ? Vous sentez bien que je serais au désespoir de vous faire le moindre tort : car, après tout, c’est moi qui vous ai fourré là dedans. M. Voisin n’a pas manqué de le dire tout net. Il me l’a bien jeté par le nez. Il est un peu chiche, je crois, votre ami. C’est un hère, un petit juif.

— Oh ! à la vérité, je ne dois que deux cents louis à part de ce maudit billet.

— Hum ! ça fait une jolie différence avec moi. Vous n’avez pas d’idée du tort que ça me ferait de voir une de mes propriétés dans la Gazette… si bien que ça pourrait être ma ruine. Je vous avouerai entre nous que d’avoir laissé protester ces deux billets, et de m’être laissé poursuivre, ça ne m’a pas fait de bien à la basse-ville. Ce serait bien pis, si les choses allaient plus loin. Diable ! c’est qu’on dirait : voilà Wagnaër fini. Et dans le commerce, mon cher, quand on dit qu’un homme est fini… il n’en faut plus parler… il est fini. Ça vous le tue net. Il serait riche comme Crésus : il faut fermer boutique. Qui saurait que vous n’en souffririez rien, il vaudrait mieux que l’on saisît un de vos lots ; puisque ça ne sera qu’une frime…

— Oh ! mon Dieu ! et ma mère ! Elle mourrait bien d’inquiétude, si elle voyait la moindre des choses…

— C’est vrai, cette pauvre Madame Guérin… je n’y pensais plus.

— Elle se croirait ruinée tout de bon.

— C’est comme Clorinde. Que va devenir cette enfant ? Elle prend tant l’inquiétude à cœur… si elle avait la moindre idée que je suis gêné… Mais qu’est-ce que je dis là… gêné… en voilà par exemple des histoires. Dans un mois, dans deux mois tout au plus, j’aurai réalisé cette bagatelle. Combien ça prend-il de temps déjà… une vente de shérif ?