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CHARLES GUÉRIN.

M. Wilby, ce grand anglais mince, qui a une si bonne place dans le gouvernement, (je crois que c’est mille louis par année ; je ne sais pas ce qu’il fait, mais il ne sort pas à moins d’avoir quatre chevaux sur sa voiture, et comme il sort souvent, je crois bien que sa place consiste à se promener ainsi en grand équipage pour faire voir à nos pauvres gens comme c’est beau d’être anglais) eh ! bien, c’était un des anciens amis de notre père ; … je suis sûr qu’il te ferait avoir une place dans le gouvernement tout de suite.

— Tout de suite ! Comme tu y vas ! Tout de suite ! Il faudrait pour cela venir du pays où j’ai envie d’aller. Tout de suite ! On voit que tu ne connais pas beaucoup ces gens-là. L’année où je suis entré au séminaire, j’avais une lettre à remettre pour maman à ton monsieur Wilby, elle m’avait dit de le voir lui-même, que je ferais connaissance avec sa famille, que j’irais là les jours de congé ; je me présentai donc chez lui. Malheureusement c’était à quatre heures, il dînait ; j’y fus une autre fois à midi, il lunchait ; à neuf heures du matin, il déjeunait, à sept heures du soir, il prenait son thé. On me dit d’aller à son bureau, que j’aurais plus de chance. J’y fus sept ou huit fois, et je ne pus jamais réussir à voir autre chose qu’un tas de petits anglais musqués, qui avaient tous l’air plus impertinens les uns que les autres ; il paraît que ce sont ces petits individus, qui n’ont pas de barbe au menton, qui font, à très bon marché, l’ouvrage que M. Wilby est payé très cher pour laisser faire en son nom. Quant à lui, il mange quand il ne se promène pas, et il se promène quand il ne mange pas, voilà ce que j’ai pu savoir de plus clair sur son compte. Enfin un bon jour, je rencontre mon homme dans la rue, je vas droit à lui, j’avais toujours ma lettre dans ma poche, je la lui présente, sais-tu ce qu’il m’a dit après l’avoir lue attentivement ?

— Il t’aura invité à déjeuner, à luncher, à dîner, et à prendre le thé avec lui.