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CHARLES GUÉRIN.


III.

PAS DE TEMPS A PERDRE.



NOTRE vie, a dit Pindare, est le songe d'une ombre. On pense ainsi au déclin de sa carrière ; mais dans la jeunesse, lorsque tout lui sourit, lorsque tout brille autour d’elle du plus vif éclat, lorsque le monde lui apparaît comme un trésor inépuisable de voluptés et d’enchantemens, lorsque les passions tumultueuses et folles l’entraînent comme par la main, l'ombre a le tort de se croire quelque chose et elle prend son rêve au sérieux.

Une nouvelle existence s’ouvrait pour Charles. Il n’était déjà plus l’étudiant ignoré, cultivant pieusement dans son cœur, après l’amour de Dieu, celui de sa mère, et de sa sœur et de son frère absent ; c’était au contraire l’homme du monde dans toute sa gloire, se livrant au tourbillon des plaisirs, ne croyant à rien de sérieux et ne doutant d’aucune chose frivole.

Clorinde passait l’hiver à Québec chez une de ses amies. Charles la voyait souvent, et c’était à elle et à son entourage qu’il devait la transformation de ses goûts et de ses habitudes. Les salons où il fut introduit lui parurent éblouissans, comparés à ceux où son ami Voisin l’avait conduit l’hiver précédent. Ce dernier fut mis à même de faire la comparaison, car Charles à son tour devint son Cicérone ; à la suite du brillant cavalier on remarquait toujours son gauche et disgracieux ami, ce que Clorinde appelait une ombre au tableau .