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CHARLES GUÉRIN.

eût de sermoner son frère, ne put s’empêcher de rire de bon cœur, mais il ne tarda pas à revenir à la charge.

— Écoute donc, si tu joignais à l’exploitation de la ferme celle du pouvoir d’eau, dont maman parle tant, si tu élevais un moulin à scies sur notre Rivière aux Écrevisses ; ensuite si tu établissais un petit commerce comme celui avec lequel papa avait commencé sa fortune………

Pour toute réponse, Pierre qui avait pris son sérieux, indiqua du doigt la maison de M. Wagnaër. Cela voulait dire tout simplement : la place est prise. Aussi le futur ecclésiastique se rejeta-t-il sur un autre texte.

— Puisque tu aimes tant la marine, que tu ne veux rien entreprendre sur terre, pourquoi n’achèterais-tu pas une goélette, avec laquelle tu ferais la pêche à Gaspé ?

— Caboteur, n’est-ce pas ? C’était bien la peine d’apprendre l’astronomie et les sections coniques ! C’est le sort des hommes de la chaloupe que tu me proposes là, excepté que tu me fais l’honneur d’y mettre un pont et d’élever un peu les mâts. Bien obligé, monsieur le curé ! J’aimerais encore mieux le canot d’écorce de ces sauvages. Avec cela du moins on ne doit rien à personne.

— Tu as raison, et sans compter que ces vilains petits voyages du golfe nous causeraient des inquiétudes continuelles. Ce serait à recommencer tous les ans.

— Tandis, ajouta vivement Pierre, que vous m’oublierez après deux ou trois ans d’absence, n’est-ce pas ?

— Mon Dieu que tu me fatigues ! Que veux-tu donc que je te dise ? Tu n’es content de rien, tu prends tout en mauvaise part ; toi le plus vieux, tu me demandes conseil, et tu me dis ensuite que tu veux faire à ta tête. Je t’ai dit ce que je voulais faire moi-même, et tu m’as rendu cent fois plus irrésolu, cent fois plus tourmenté que jamais. Voyons, je n’ai plus qu’une proposition à te faire, écoute la tranquillement. Tu sais bien,