Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
CHARLES GUÉRIN.

celles que nous venons de rapporter textuellement, se multipliaient sans relâche. La pauvre fille allait et venait et sa maîtresse aussi, et il semblait que rien n’avançait. Quant à l’hôte, il était tranquillement installé dans son cabaret, fumant et causant avec trois ou quatre habitués, et buvant deux verres chaque fois que ceux-ci en buvaient un.

A force d’activité cependant les deux femmes parvinrent à mettre une petite chambre dans la mansarde en état de recevoir les hôtes que l’on attendait. Une longue table avait été dressée, une nappe très propre la recouvrait et deux rangées d’assiettes et de verres en face l’une de l’autre semblaient se défier à un combat bachique à outrance. Les chaises étaient à leur poste, de grandes terrines étaient placées au pied de chaque chaise, de petits couteaux larges, pointus et à garde, étaient disposés auprès de chaque couvert, et d’énormes piles de serviettes s’élevaient de distance en distance tout autour de la table. Ceux de nos lecteurs qui savent ce que c’est qu’une fine partie d'huitres à Québec, dans l’automne, doivent se trouver en pays de connaissance.

Les convives arrivèrent tous à la fois. Les cloisons et les vitres de la petite auberge furent ébranlées, comme par un tremblement de terre, au tapage qu’ils firent en entrant. C’était une avalanche de jeunes avocats, de jeunes médecins et d’étudians capables de bouleverser tout un quartier. Mêlés à ce tourbillon, se trouvèrent nos amis les trois hommes d’état que nous avons vus, une première fois, dans une autre mansarde occupés à régler le sort de l’univers.

— C’est justement ce qu’il nous faut, Voisin, tu as choisi on ne peut mieux ; nous pouvons faire le diable ici et que toute la ville en ignore.

— Tiens, cette idée ; j’entends bien, quand je me grise, que l’univers le sache.