Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
CHARLES GUÉRIN.

sans causes, penses-tu que nous serons plus heureux tous ensemble ? À moins donc que je ne sois prêtre aussi moi. Vas-tu m’improviser une vocation qui vaille encore moins que la tienne ?

— Mais où prends-tu que tu seras un mauvais médecin ou un pauvre avocat ? Pourquoi ne parviendrais-tu pas comme tant d’autres ?

— Pourquoi ? Parcequ’il y a des hommes dans le monde qui sont faits pour être autre chose qu’avocat et autre chose que médecin !

— Alors laboure la terre que notre père nous a laissée. Cela vaudrait bien mieux que de labourer les mers comme Enée avec ses vaisseaux.

— Puisque tu te mets à cheval sur ton Virgile, tu pourrais bien ajouter :

Fortunatus et ille Deos qui novit agrestes !

Mais il s’en faut de beaucoup qu’on nous ait fait faire connaissance avec les dieux champêtres, ailleurs que dans les livres. Dès que nous avons eu l’âge de raison, on nous a enfermés entre quatre murs pour nous faire traduire du latin toutes ces belles choses que nous pouvons voir et apprécier de nos propres yeux. J’avoue bien que notre oncle Charlot a joliment l’air du dieu Pan ou d’un Sylvain. En supposant qu’il voulût se charger de notre éducation agricole, il y perdrait son temps et ses peines, et ma mère et lui n’y gagneraient que d’avoir un fainéant de plus à nourrir sur leur ferme. Ça serait le cas de citer encore Virgile, et de dire au bonhomme :

Insere Daphni piros carpent tua poma nepotes !

Ce que notre compagnon de classe, Bobinet, traduisait comme ceci :

Daphnis a serré ses poireaux et mis ses pommes en compote.

À cette réminiscence burlesque, Charles, quelque envie qu’il