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CHARLES GUÉRIN.

3 Juillet.

Qui a écrit les vers qu’il y a sur la page précédente ? Quelque folle sans doute ! Hélas ! cette folle, c’est moi ; et je vois bien à l’air que tout le monde prend avec moi qu’on me considère telle… Que la volonté de Dieu soit faite !

— Non, pauvre Marichette, non, vous n’êtes pas folle ; vous aimez, vous êtes isolée et malheureuse, et vous voulez persister dans votre isolement et votre malheur en ne vous confiant à personne. Vous avez laissé les occupations grossières, les durs travaux que vous aviez su vous rendre doux et aimables, et vous avez défait en quelques semaines l’ouvrage de deux années. Vous vous êtes placée vous-même en dehors de tout ce qui vous entoure, et vous ne savez plus où vous êtes. Quels songes vous tourmentent dans cet asile où vous vous êtes réfugiée contre la chaleur du jour et l’ennui de toutes choses ? Votre sommeil est agité, votre poitrine oppressée ; et de vos lèvres brûlantes s’échappent des sons confus et inarticulés.

Elle rêvait, la pauvre jeune fille, qu’elle était près d’un précipice et que Charles, comme cela lui était déjà arrivé, était là pour la sauver. Mais il lui semblait que Charles hésitait. Tout-à-coup il paraissait de l’autre côté une autre jeune fille beaucoup plus belle, qui implorait du secours d’une voix lamentable. Alors Charles s’éloignait et fesait un long détour pour sauver l’autre jeune fille. Pendant ce temps, elle glissait… glissait et elle allait tomber… lorsqu’elle fut éveillée par une voix qui ne lui était pas inconnue.

— Mamz’elle Marichette, v’là-t-il longtemps que j’essaie à vous réveiller. C’est que j’avons de bonnes nouvelles à vous apprendre. J’savais ben que j’vous trouv’rais sous les sapins. C’est toujours ici que vous v’nez, quand vous partez sans rien dire avec votre beau livre rouge qu’est tout doré. Dame aussi, j’sommes venu ici tout drette. C’est qu’j’en ai