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CHARLES GUÉRIN.

20 Juin.

Il est bien facile d’être philosophe sur le papier… mais je l’aime plus que jamais, et je sens que je l’aimerai toujours. J’ai eu hier des momens sombres, des momens de désespoir terribles. Il faut pourtant que je prenne une résolution. Si je lui écrivais ? Oui, il faut que je lui écrive !

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21 Juin.

J’ai griffonné bien du papier aujourd’hui. J’ai écrit cinq ou six lettres pour Charles… les unes étaient tendres et touchantes, d’autres froides et polies, d’une politesse ironique ; d’autres étaient chargées de reproches et d’injures et écrasantes de mépris. Elles se valent toutes à présent… car je les ai toutes déchirées et brûlées. Ça n’a pas le sens commun de vouloir lui écrire. Est-ce qu’il me répondrait ? Est-ce qu’il lirait ma lettre ? Est-ce qu’il la décacheterait seulement ? Est-ce qu’il s’occupe de moi ? Est-ce qu’il a un cœur et une âme comme les autres hommes ? Il m’est venu à l’idée de me confier à Émilie à qui je dois une lettre… il faut nécessairement s’épancher dans le sein d’une amie ; — autrement le chagrin vous tuerait. J’ai donc écrit à Émilie ; mais en la relisant, la colère m’a pris de nouveau, je me suis sentie humiliée de cette confidence, et cette lettre a eu le sort de toutes les autres.

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27 Juin.

Je devrais mourir de honte. Mon père a pris une engagée de plus pour le service de la maison. Moi qui autrefois fesais tout l’ouvrage !

Mon petit écureuil est mort ce matin dans sa cage. J’avais oublié depuis plusieurs jours de lui donner à manger. La mère Paquet m’a dit que si ce n’était que d’elle, il en serait de même de mes poulets et de toute la basse-cour.