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CHARLES GUÉRIN.

pulture a été bien courte. Quand le cercueil a été recouvert de terre, je me suis enfoncée dans le cimetière, où j’ai retrouvé avec peine parmi les autres inscriptions celle qu’on a placée sur la tombe de ma mère. Je n’étais pas entrée dans ce lieu depuis bien longtemps. Quand on est heureuse, il en coute de s’attrister : à présent tout ce qui est triste me plait. L’épitaphe de ma pauvre mère est bien simple ; il n’y a pas même de date et il n’y a pas son âge. « Ici repose le corps de Marie Dumont, épouse de Jacques Lebrun — Priez pour elle. »

Je n’ai pas prié pour elle, malgré qu’on me le demandât. L’idée ne m’en est pas venue. Je l’ai priée, elle, pour moi. J’ai dit : « Ma mère, ne m’oubliez point dans le ciel où vous êtes. Si je dois cesser d’être vertueuse et bonne, demandez au bon Dieu que je vienne vous rejoindre ici et là haut bien vite. »

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15 Juin.

Il me semble que je suis résignée à mon malheur. Je suis bien persuadée maintenant que c’est fini. J’étais une folle de le croire ; il était trop jeune et avait trop peu d’expérience du monde. Il ne se croit déjà plus lié par ce qu’il m’a dit. Il se sera dit à lui-même : autant en emporte le vent ! Il a raison et je devrais faire comme lui. Il me semble que je dois avoir assez de force pour oublier un écervelé de cette espèce. Mérite-t-il qu’on se rende malheureuse et qu’on se fasse mourir pour lui ? Après tout, il ne manque pas de jeunes filles à qui la même chose est arrivée, et qui sont encore vivantes et bien portantes. Les chagrins d’amour passent comme tout le reste. J’en aurai pour quelques jours encore à être triste ; mais avec du courage et de la philosophie, je redeviendrai calme et heureuse comme avant.

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