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CHARLES GUÉRIN.

bien plus triste à la campagne, il n’y a pas le bruit, l’agitation, les mille contrastes que vous trouvez de suite dans les rues d’une ville pour effacer l’impression que vous recevez de la vue d’un cercueil. La pauvre femme que l’on menait en terre m’était tout-à-fait inconnue : c’est une fille d’une autre paroisse, qui était venue ici s’engager pour les travaux. Elle est morte en deux ou trois jours d’une fièvre qui s’est déclarée subitement. L’enterrement de cette inconnue m’a causé autant d’émotion que si c’eût été une parente ou une amie. Il n’y avait que les gens de la maison où elle servait, trois ou quatre voisines, et quelques enfans qui suivaient le cercueil. J’ai augmenté de ma présence ce petit convoi.

Il faisait le plus beau temps que l’on pût désirer, trop beau pour un enterrement ! Le ciel était pur et d’un beau bleu pâle, le soleil brillait sans nous incommoder par une excessive chaleur, les petits oiseaux chantaient en sautillant sur les clôtures et quelquefois dans le chemin sans trop s’alarmer de notre présence… ils savaient bien qu’une morte et sa suite ne leur feraient point de mal… le foin, et les fieurs des champs embaumaient l’air ; on aurait dit que la nature entière souriait à la sépulture de cette pauvre fille que le ciel a peut-être reçue de préférence à bien des riches et des grands. La cloche de l’église qui s’est mis à sonner, quand on nous a vu venir, semblait une voix qui l’appelait d’en haut en chantant.

Nous marchions lentement en répondant au chapelet que récitait une des vieilles femmes. Cela m’a rappelé le premier enterrement que j’ai vu… celui de ma pauvre mère. Mais c’était bien différent. Il pleuvait beaucoup cette journée-là et il y avait une grande foule de monde et un beau clergé qui marchait devant. J’étais toute petite ; mon père me tenait par la main, et je marchais sans savoir où nous allions.

Le vicaire et un petit enfant de chœur ont récité à voix basse les prières pour cette pauvre fille et la cérémonie de sa sé-