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CHARLES GUÉRIN.

Je ne vis que de souvenirs : les plus petites choses sont présentes sans cesse à mon esprit

J’ai remarqué un demi cercle tracé très fortement sur le plancher près d’une fenêtre. Il se mettait là souvent, un genou appuyé sur une chaise qu’il fesait tourner sur elle-même… cette petite trace sur le plancher, ce n’est rien, sans doute ; eh bien ! je suis allé déjà la regarder plus de dix fois.

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3 Avril.

Je ne serai maintenant pas plus de deux jours sans avoir de ses nouvelles. Mon père m’apportera-t-il une lettre de lui ? Je ne le pense pas : il n’osera pas la lui confier.

Cette semaine d’ennui me rappelle celle que j’ai passée, il y a quelque temps, lors du premier voyage de mon père. Mais c’est effrayant combien je m’ennuie d’avantage. Au moins je travaillais, je pouvais voir au ménage, lire, coudre, broder…

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6 Avril.

Mon père et une lettre ! Comme j’ai repassé souvent dans ma tête ces quelques lignes ! Comme j’ai été fière de découvrir ce billet que mon père m’a remis sans le savoir. Quelque chose me disait qu’il devait y avoir mieux que des oignons de tulipes dans ce petit paquet.

Cela m’a porté bonheur, j’ai été toute autre aujourd’hui que les jours précédens. J’ai fait plus d’ouvrage que dans toute une semaine.

Mais peut-être ai-je mal fait de lire cette lettre ? Comment, après l’avoir attendue si impatiemment, j’aurais été forcée de la déchirer ou de la jeter au feu ! Le bon Dieu exige-t-il tant de perfection de nous autres pauvres jeunes filles ?