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CHARLES GUÉRIN.

Au fonds de la salle de danse, il y avait deux larges fenêtres qui donnaient sur le jardin. On n’en avait fait qu’une seule porte. Plusieurs arcs de verdure élevés très près les uns des autres formaient un chemin couvert en feuillage de la maison au berceau. On avait relégué dans cet endroit le buffet et les rafraîchissemens. Des statues de plâtre imitant le bronze, éclairaient le jardin avec des lampes qu’elles tenaient dans leurs mains ou sur leurs têtes. Des lampions de diverses couleurs avaient été disposés dans les arbres, les charmilles et les arbustes.

Mais la plus belle des décorations, c’était la nuit sereine mais noire et sans autre lumière que celle des myriades d’étoiles qui scintillaient là haut, comme pour quelque réjouissance céleste. Une obscurité mystérieuse étendait ses voiles sur toute la campagne et au loin sur le fleuve. Il y a une sensation étrange que l’on éprouve au milieu d’une semblable fête, lorsqu’on songe à l’atmosphère de lumière et de bruit qui nous environne et va mourir par degrés si près de nous dans le silence et l’obscurité de la nature. On se croit dans un monde à part sur un oasis de plaisirs, avec des limites et un horizon inconnus.

La société qu’avaient réunies les invitations de Clorinde formait un tout passablement hétérogène. Il y avait là : des demoiselles de la ville en grande tenue de bal, décolletées autant que la mode le permettait, ce qui veut dire beaucoup, et des jeunes personnes de la campagne avec des mouchoirs de gaze sur leurs épaules, qui les engonçaient autant et plus que ne l’exige la pudeur la plus incivilisée : des élégans comme Jules de Lamilletière, jeunes gens aux allures hardies et dégagées, valseurs intrépides, pleins de grâces et de fatuité, dont la toilette était calquée sur la dernière gravure de mode ; et des échappés de collège avec des habits et des tournures à moitié séculiers, au regard indécis, à la démarche timide, gauche,