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CHARLES GUÉRIN.

de son existence nouvelle, inaugurer et substituer une domination d’un autre genre au règne de terreur qu’il avait fait peser jusque là sur ses voisins. En d’autres termes, d’usurier et de créancier impitoyable, le marchand enrichi visait à se transformer en grand seigneur magnifique et hospitalier.

Grâces à quelques amies de pensionnat, et aux relations d’affaires que son père entretenait avec quelques unes des plus riches familles anglaises de Québec, Clorinde avait fait des connaissances dans le beau monde. Elle prit le prétexte de rendre à ses amies les politesses qu’elle en avait reçues, et les invitations du bal, comme cela devait être, furent faites en son nom.

M. Charles Guérin et M. Henri Voisin furent parmi les jeunes gens de la ville, les premiers invités, et s’y rendirent ensemble.

Il n’est pas besoin de dire que M. Wagnaër n’épargna rien pour cette occasion. Clorinde et Louise s’étaient chargées des préparatifs. Elles avaient transformé la maison et les jardins à ne pas s’y reconnaître. Elles avaient disposé avec art dans tous les appartemens des guirlandes de feuilles d’érables entremêlées de fleurs. On avait abattu plusieurs cloisons, ce qui avait fait une salle de danse très vaste, tapissée d’un bout à l’autre de branches de sapins et d’érables. Des convolvulus, des clématites et d’autres plantes grimpantes étaient artistement mêlées à la verdure : leurs fleurs blanches, rouges, bleues, on jaunes formaient tout autour une véritable charmille. De grands vases d’albâtre contenant des bougies de diverses couleurs répandaient une lumière fantastique dans les vestibules et les boudoirs ; tandis que plusieurs lustres jetaient dans la salle du bal une éblouissante clarté, d’autres vases pleins de fleurs odoriférantes mariaient leurs suaves senteurs aux exhalaisons aromatiques des sapins et une brise légère, qui pénétrait par toutes les ouvertures de la maison, agitait doucement et lumières et parfums.