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CHARLES GUÉRIN.

couper l'herbe sous le pied par un jeune homme qu’on lui avait représenté jusque là comme incapable de mettre deux chiffres bout-à-bout.

M. Wagnaër en était à une époque de transition bien importante. Après avoir amassé les matériaux de sa fortune, il en construisait l’édifice et se préparait à s’y caser avantageusement. Pour cela, il s’efforçait d’acquérir la seule chose qui lui avait manqué jusqu’alors, la considération publique ; il refaisait de son mieux sa réputation.

Avec ce léger ingrédient de plus, sa position devenait en effet très enviable. Ce n’est pas peu de chose que de primer par sa richesse sur une étendue de vingt à trente lieues et de dominer tous les gentilhommes et les bourgeois disséminés dans cet espace. Il faut qu’une flétrissure morale soit bien désespérante, pour qu’un homme très riche au milieu de fortunes généralement médiocres ne parvienne pas à la faire disparaître.

Les belles campagnes de la Côte du Sud et particulièrement les environs de la résidence de M. Wagnaër sont, tous les étés, le rendez-vous de nombreux émigrés de la meilleure société de Québec et de Montréal. Réunis aux familles les plus considérables de ces endroits, ces visiteurs citadins forment des cercles, pas aussi brillans sans doute que la brillante cohue qui s’entasse à Saratoga, à New-Brighton et aux autres eaux et bathing places de l’Amérique, mais assurément plus gais et plus agréables. Ce sont des fêtes champêtres, des pic-nics, des excursions en chaloupe dans les îles du fleuve, de longues cavalcades d’une paroisse à l’autre, des promenades dans les bois, tout cela avec le spectacle des plus, beaux paysages du nouveau monde.

M. Wagnaër conçut le projet de rassembler chez lui à un jour donné tous ces essaims de voyageurs, et toute la société de l’endroit. Il voulait poser par une fête splendide la base