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CHARLES GUÉRIN.

je ferai ? Je n’ai pas hâte de prendre la responsabilité des affaires de la famille. Il serait peut-être beaucoup plus sage de m’interdire, au moment où je deviendrai majeur, que de m’émanciper à présent… puis se ravisant… Il y a cependant une sorte d’émancipation reconnue en loi à laquelle je ne saurais avoir aucune objection…

— Et comment appelez-vous cela, monsieur le jurisconsulte ?

— La loi, dit comme cela, qu’on est émancipé en se mariant.

— Quoi déjà ? Je ne pensais pas que cela irait si bien. J’avais oublié qu’il n’y a rien comme le cœur d’une mère pour rencontrer juste. Elle est donc bien aimable cette Clorinde qu’elle t’a ensorcelé du premier coup ? Si tu savais comme cela me fait plaisir…

Il y avait tant de bonheur exprimé par le son de la voix et le regard triomphant de Madame Guérin, que Charles n’osa pas la détromper. Il se contenta pour le moment de manifester son étonnement.

— Comment, ces Wagnaër qui nous ont fait tant de mal ? Serait-il possible ?

— Écoute, mon cher, quelques mauvais projets qu’ait eus le père, je ne suis pas femme à tenir sa fille responsable. Ensuite, me crois-tu haîneuse au point de refuser ton bonheur par rancune ? J’ai été bien surprise, cet hiver, lorsqu’un jour j’ai reçu la visite de mon voisin et de sa fille. Je me suis demandé quelque temps, ce que cela voulait dire. M. Wagnaër n’était pas entré dans ma maison, depuis cette fois où il avait été si bien reçu…. Je ne lui connaissais aucune raison d’essayer de nouveau ce qu’il avait tenté une première fois… J’ai eu peur de quelque nouvelle intrigue de sa part. Bien vite et un peu malgré moi Clorinde et Louise sont devenues très intimes. La naïveté de ta sœur qui me répétait fidèlement tout ce qu’on lui disait, m’a bientôt fait voir que les Wagnaër avaient quelque projet de mariage en tête. Je me suis dit : mais ce serait là après tout un bon moyen de finir