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CHARLES GUÉRIN.

à pic, les autres servant d’embouchures à des rivières, et recouvertes de goëlettes, de bateaux, de cajeux et de larges pièces de bois, indiquant l’existence d’une certaine activité commerciale ; tel était le détail du vaste tableau, qui, en remontant le fleuve, s’étendait jusqu’à l’horison, décroissant et fuyant toujours jusqu’à ce qu’il parût rejoindre l’autre rive, à laquelle deux ou trois petites îles bleuâtres semblaient le rattacher ; de sorte que, si d’un côté le Saint-Laurent fesait l’effet d’une vaste mer, de l’autre il avait plutôt l’apparence d’un lac ou d’un golfe profond.

Un ciel d’un bleu pâle, surtout à l’horison, caché en plusieurs endroits par quelques-uns de ces nuages brans et blancs, lourds et épais qui sont particuliers à notre climat, complétait ce tableau qu’on n’embrassait pas d’un seul coup d’œil, mais qu’un léger mouvement de la tête fesait parcourir, tel que nous venons de le peindre.

Le silence qui régnait dans cet endroit n’était interrompu que par un bruit monotone semblable à celui que font les deux pistons d’une machine à vapeur ; ce brait décelait la présence de quelques marsouins qui s’approchaient de terre.

D’autres bruits cependant, et d’autres objets ne tardèrent pas à attirer l’attention des jeunes gens et à les distraire de leur muette contemplation. D’abord une longue herse de ces oies indigènes, que nous appelons du nom d’un oiseau du Nord de l’Europe, l’outarde (otis tarda) et que les savans européens ont baptisé en revanche du nom de notre pays anser Canadensis, remontant le fleuve en le traversant, fesait entendre, à de longs intervalles, des cris plaintifs et prolongés. On pouvait encore les distinguer comme des points noirs au-dessus de l’eau dans le lointain, lorsqu’une grande chaloupe parut, doublant à force de voiles la pointe de l’église. Les hommes qui la montaient étaient presque tous des pêcheurs de St. Thomas ou de l’Islet, jeunes gens qui laissent chaque printemps les paisibles villages