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CHARLES GUÉRIN.

et vous jasez comme des femmes ! Puis, prenant le langage technique qui convenait à la situation : Halte, miliciens ! Silence dans les rangs ! Deux de front… fusil a l’épaule… en avant, marche !

Les cinquante ou soixante hommes défilèrent en assez bon ordre devant la maison, et formèrent la ligné sur deux de hauteur, le dos tourné à la grève.

— À c’te heure, mes amis, dit le capitaine, il faut réveiller not’major. C’est prouvable qu’il doit dormir encore ; comme c’est un gros Messieu….. Voyons, chargez vos fusils… Attention ! bon… c’est bien… Feu !… Une fusillade très vive, quoiqu’un peu irrégulière, épouvanta les allouettes de la grève et fut répercutée au loin par les échos.

À ce signal, la porte de la maison s’ouvrit, et le major parut sur le seuil, en robe de chambre, et dans un négligé qui paraissait vouloir dire : quelle suprise vous me faites ! En même temps, Mlle Clorinde ouvrait une persienne, et se montrait à la fenêtre dans une toilette assez étudiée pour démentir l’étonnement que simulait le digne auteur de ses jours.

Le capitaine Martin, qui se piquait de parler dans les termes, ôta son chapeau (ce qui, sans contredit était beaucoup plus civil que militaire) et dans un discours amphigourique, parsemé de grands mots empruntés partie aux prédicateurs, partie aux avocats, qu’il avait entendus dans le cours de sa pieuse et processive existence, parvint à exprimer à M. Wagnaër, assez difficilement, tout le contraire de ce qu’il voulait lui dire. Heureusement celui-ci n’était pas difficile sur la qualité de l’encens que l’on brûlait en son honneur, et il prit en bonne part les pompeuses injures qui lui étaient adressées. Il prononça à son tour une harangue qui fut trouvée admirable, grâces à l’accent étranger de l’orateur, et grâces bien davantage à l’excellente conclusion qu’il eut soin d’y mettre. Il invita en effet tous les assistans à se rendre à l’auberge du village, où on leur