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CHARLES GUÉRIN.

mandations de la jeune fille, qui retentissaient constamment dans sa mémoire, eurent un résultat plus positif. Au bout de quelque tems il sut assez de droit pour pouvoir en montrer aux autres clercs de l’étude. Il avait lu et médité d’un bout à l’autre le Traité des Obligations, cet excellent livre qui met les patrons si à leur aise, lorsqu’ils l’ont une fois placé entre les mains de leurs élèves, en leur disant pour tout commentaire : Lisez Pothier, monsieur, et quand vous l’aurez lu, relisez-le. Cette phrase laconique et superbe, accompagnée d’un geste plein de majesté, par lequel on indique au jeune homme quelle vénération on doit avoir pour le volume qui contient ainsi toute la loi et les prophètes, tient lieu ordinairement des leçons et des cours publics, que suivent les aspirans au barreau dans les autres pays.

Suivant sa promesse, le premier jour de mai, Charles était de retour au milieu de sa famille. Bien qu’arrivé tard la veille, et quelque peu moulu des fatigues du voyage, il s’était levé de bonne heure. C’était une journée décisive pour lui, qui allait commencer : à peu près ce qu’est pour un général d’armée (qu’on nous pardonne la comparaison) le jour d’une grande bataille. Ne devait-il pas en effet attaquer une position importante ? N’allait-il pas combattre contre un adversaire beaucoup plus expérimenté que lui ? N’avait-il pas disposé pendant la nuit les batteries qu’il devait faire jouer le jour ? N’avait-il pas fait une marche forcée pour arriver sur le champ de bataille ? Enfin pour couper court et faire grâce à nos lecteurs de toute autre métaphore, n’avait-il pas résolu d’avouer à sa mère tout ce qui s’était passé, de braver son mécontentement, d’opposer une raison meilleure à chaque bonne raison qu’elle placerait en travers de ses projets ? de mettre en jeu tous les ressorts qui peuvent agir sur l’esprit d’une femme et le cœur d’une mère ? en un mot de combattre et de vaincre par tous les moyens possibles ? Il avait même, dans ses appréhen-