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CHARLES GUÉRIN.

et portait à son extrémité un groupe de maisonnettes blanches, et une petite église au toit couleur de sanguine, dont le clocher couvert de fer étamé, étincelait au soleil. Devant la maison de M. Wagnaër, un chemin étroit se détachait de la grande route, courait le long de la grève jusqu’à l’église. Au-dessus de cette pointe, tant elle était basse, on voyait encore le fleuve dont le chenal, qui paraissait rentrer dans les terres, formait l’horison, et se confondait presqu’avec le ciel.

L’autre pointe à gauche n’était guère autre chose qu’une batture de joncs, parsemée de gros cailloux rougeâtres, et dont la pente fesait une sorte de plan incliné, très commode pour les petites embarcations. Au détour de cette pointe, était la petite rivière dont nous venons de parler, on la nommait la Rivière aux Écrevisses, et elle passait sur les terres de madame Guérin. Au delà se développait une chaine variée de côteaux, d’anses, de promontoires, de forêts, de villages, qui formait la demi-courbe d’une ovale, avec le Saint-Laurent. C’était tantôt des pâturages et des champs, divisés méthodiquement en de longues lisières jaunes, rousses ou vertes ; tantôt de beaux bosquets d’érables au feuillage diapré par l’automne, aux teintes violettes, rouge-feu, orangées ; ici de hautes et noires pinières, là de petits sapins échelonnés sur la côte. Le grand chemin (ou chemin du roi, comme on l’appelle) toujours bordé de blanches habitations, courait à travers tous les sites, gravissant les côteaux, descendant les pentes abruptes, longeant les pointes, et suivant toutes les sinuosités de la grève. Des villages groupés sur le bord de l’eau, d’autres villages portés au flanc des montagnes éloignées, et paraissant superposés dans toute l’étendue des terres que l’on nomme les concessions ; des églises dont les unes fesaient percer leurs clochers élancés à travers le feuillage et les toits de quelque gros bourg, tandis que les autres s’élevaient isolées sur le rivage, ou sur quelque côteau lointain ; des anses, les unes sauvages, inabordables, formées de rochers