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CHARLES GUÉRIN.

courager pour six mois qu’il avait perdus, qu’un peu d’application et de constance était tout ce qui lui manquait, et qu’il ne tenait qu’à s’y mettre. Elle n’eut pas de peine à lui faire promettre de faire mieux, et de chasser, une bonne fois pour toujours, les chimères qui hantaient son imagination : et, grâces à elle, rien ne manqua à ses bonnes résolutions, ni le repentir, ni l’espérance. Ajoutons qu’un aussi joli prédicateur en valait bien un autre, surtout prêchant un converti.

Ces sermons, au reste, n’étaient pas sans quelque utilité pour le prédicateur lui-même : ils formaient une heureuse diversion aux propos beaucoup trop passionnés que se permettait notre héros. Charles voyait accroître l’ardeur de ses sentimens à mesure qu’il voyait diminuer le temps qui lui restait pour les exprimer. Avec cette exagération si naturelle aux amans, et dont il était plus susceptible que tout autre, il lui parut qu’il n’avait commencé à vivre que depuis deux jours, et quant vint le moment de la séparation, il crut qu’il allait mourir.

Il fallait bien partir, cependant, car dès quatre heures du matin son hôte lui avait annoncé, en le secouant vigoureusement dans son lit pour le réveiller, que la bonne petite jument noire était attelée, et qu’ils auraient à peine le temps de déjeûner, s’ils voulaient profiter de la gelée de la nuit et ne pas laisser briser les chemins[1].

Une larme furtive, qui s’échappa bien involontairement de l’œil de la jeune fille, fut tout ce qui aurait pu trahir son amour, en présence de son père ; et encore celui-ci pouvait et devait l’attribuer à son propre départ. Seulement, quand les deux voyage lira fuient bien établis dans leur traîneau, et au moment où un fouet retentissant donna le dernier signal, Marie qui était

  1. Dans le temps de la fonte des neiges, on dit naturellement que les « chemins se brisent » quand la croûte formée par la gelée de la nuit se fond l’ardeur du soleil. À cette saison de l’année une journée chaude est une journée de mauvais temps, ou tout au moins une journée de mauvais chemins pour ceux qui voyagent.