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CHARLES GUÉRIN.

heureux d’un regard, d’un sourire, d’une parole d’amour ; si vous me dites que vous êtes décidée à me fuir, l’aveu que vous m’avez fait à moitié, que je veux avoir tout-à-fait, adoucira cette séparation et me laissera quelque espérance. Parlez donc … et soyez sérieuse, vous qui vous dites philosophe, dans un moment que je considère comme le plus important de ma vie ; qu’il vous est libre de rendre aussi le plus beau.

Cette magnifique tirade paraîtra peut-être à nos lecteurs, en contradiction avec les dispositions d’esprit que nous venons d’indiquer chez notre héros ; mais ses pensées noires étaient déjà dissipées ; les quelques paroles de Marie et sa présence beaucoup plus encore que ses paroles, avaient chassé le brouillard importun et fait reparaître, plus serein que jamais, un amour qui ne devait jamais finir, chose bien certaine, puisqu’il durait déjà depuis près de quinze jours. Il y avait donc dans son langage un accent de vérité qui émut vivement la jeune fille. D’un ton bien sérieux cette fois, elle exposa au jeune homme leur position mutuelle, leur avenir à tous deux, ce qu’elle avait résolu, et cela de manière à répondre, sans le savoir, aux objections qu’il se fesait à lui-même.

Tout ce qu’elle connaissait des dispositions de son père lui persuadait qu’il ne refuserait pas son consentement à son mariage avec Charles, du moment où il pourrait y voir autre chose qu’un projet dangereux par son incertitude. Elle avait donc arrêté que son père ne saurait rien pour le présent : elle épargnait ainsi un aveu bien embarrassant pour elle-même et bien inquiétant pour lui.

D’un autre côté nier à Charles ce qu’elle lui avait déjà dit, ou vouloir imposer silence à un sentiment qu’elle partageait, c’était folie : échanger de tels aveux sans les légitimer par un lien ou par une sanction quelconque, c’était légèreté ; exiger de Charles sa parole irrévocable sans lui donner le temps de consulter sa famille, c’était égoïsme. Après avoir bien pesé