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CHARLES GUÉRIN.

« Quant à ton ami, M. Voisin, il ne tarit pas en éloges sur ton compte. Il te met au-dessus de tout. Maman, qui ne demande pas mieux que de parler de toi, en a dit bien long sur ses espérances ; et ils ont parlé bien longtemps ensemble de choses que je n’ai pas toujours comprises. Il paraît, d’après ce qu’il dit, que Pierre n’a pas eu tort de partir : il court une grande chance de faire fortune en pays étranger ; M. Voisin prétend, comme Pierre le disait dans sa lettre, qu’il n’y a plus d’avenir du tout dans les professions. Là-dessus, maman a dit qu’elle n’ayait pas envie de te faire perdre ton temps ni de te forcer à faire un avocat malgré toi, si ça ne te plaisait pas. Elle a parlé de te mettre à la tête de grandes entreprises, et pour cela de te faire… comment donc disent-ils cela ?…. de te faire émanciper. M. Voisin a beaucoup approuvé cette idée-là.

« Je l’ai encore rencontré le soir chez M. Wagnaër ; Clorinde m’avait fait demander de passer la soirée avec elle. Je ne sais pas si ton ami s’est fait présenter dans cette maison avec quelque intention ; mais il a été bien peu galant pour cette pauvre Clorinde ; il n’a fait que parler avec M. Wagnaër. Il a encore fait mille éloges de toi. Il dit que tu feras un grand littérateur, et que tu ferais fureur dans les salons. Il trouve qu’avec tes talens tu as bien raison de ne pas aimer les professions. Il a conté plusieurs choses de toi bien spirituelles apparemment, car M. Wagnaër et un autre homme qui était là, ont bien ri. M. Wagnaër a dit une chose que je n’ai pas comprise, je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais compliment, il a dit que tu n’étais pas un homme pratique.

« Ton M. Voisin peut bien être un bon garçon, je suis sûr qu’il t’aime de tout son cœur : mais moi, je ne l’aime pas de même. Il a une figure qui me déplait. Il ressemble à une belette ; il n’y a rien de plus fin qu’une belette, et cependant en même temps il ressemble à Guillot, le commis. Toute la diférence est