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CHARLES GUÉRIN.

magasin de campagne. D’un côté de cette maison s’étendait une longue rangée de peupliers de Lombardie, servant d’entourage à un jardin ; derrière, on voyait plusieurs petits bâtimens d’exploitation, en bon ordre, peints tout récemment, et un magnifique verger.

Tout cela appartenait depuis peu à un M. Wagnaër, étranger venu des îles de la Manche. La maison de madame Guérin était ombragée par les branches touffues d’un orme séculaire et gigantesque ; elle était sur une sorte de terrasse à hauteur d’homme, formée en partie par un de ces fournils ou caves à patates, que l’on voit devant presque toutes les habitations de nos campagnes. Sur une verte pelouse, qui couronnait la petite maçonnerie du fournil, les deux écoliers étaient nonchalamment étendus.

Devant eux coulait le St. Laurent, large autant que la vue pouvait porter. Sur l’horison se dessinaient bien lointaines les formes indécises des montagnes bleuâtres du nord ; une petite île verdoyante reposait l’œil au tiers de la distance, et semblait souvent, lorsque les vagues s’agitaient, osciller elle-même, prête à disparaître dans le fleuve. La vaste nappe d’eau présentait trois ou quatre aspects différents. La marée montait dans la petite anse au fonds de laquelle étaient les deux maisons, que nous venons de décrire ; la brise s’élevait avec la marée, et l’eau plus épaisse prenait une teinte brune. À droite, on découvrait une grande étendue d’un azur tranquille ; à gauche, éclairée par un soleil d’automne, l’eau paraissait comme une large plaque d’argent incrustée d’or ; une marque d’écume blanche séparait cette partie de l’autre : c’était l’endroit où une petite rivière traversant un lit de cailloux se jetait dans le fleuve.

Les deux côtés du paysage étaient formés par les deux pointes de l’anse, qui servaient de cadre au fleuve. Celle qui s’étendait à droite, beaucoup plus longue que l’autre, mais basse et à fleur d’eau, était recouverte d’une riche végétation,