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CHARLES GUÉRIN.

« Mon cher frère,

« Nous n’avons reçu qu’hier la lettre, que tu nous a écrite avant ton départ. Je te dirai bien qu’en voyant en haut de la page ces deux petits mots : je pars, maman a tremblé de toutes ses forces. C’était bien naturel. Et même, quoiqu’il ne s’agisse que d’une promenade, cette pauvre mère n’aime pas cela. Elle dit que ça lui déplait et que ça l’inquiète de te savoir plus éloigné de nous. Du matin au soir, elle ne parle que de toi et de Pierre. On ne peut rien trouver que ça ne lui fasse dire : Pierre aimait cela, ou bien : Pierre faisait comme cela. Pierre disait cela : Pierre s’y prenait de même, ou bien encore : si Charles était ici, il dirait cela. Je voudrais bien pourtant qu’elle pût se faire une raison, et ne plus penser à notre frère, puisque nous ne sommes plus pour le revoir. Je le lui dis souvent ; mais je me surprends à en parler la première.

« Quelques minutes après avoir reçu ta lettre, nous avons eu la visite d’un de tes amis, un avocat, qui se nomme M. Voisin. Il me semble que j’ai vu ce nom-là quelque part dans tes autres lettres. Il se dit bien intime avec toi. Il nous a fait une visite qui ne finissait plus, et il nous a remis une lettre de ton patron, M. Dumont. Celui-ci ne se plaint pas de toi, mais on dirait qu’il a quelque chose de mauvais à nous dire sur ton compte et qu’il n’ose pas. Tu peux bien croire que je n’ai pas fait remarquer cela à maman ; mais elle a paru plus triste encore après avoir lu cette lettre. Je ne veux pas te faire des sermons, je pense bien que tu te moquerais joliment de moi, si je voulais t’en faire. Tu feras bien pourtant de te faire aimer de ton patron, et de le contenter. Je n’aime pas ce qu’il dit à la fin de sa lettre, que c’est lui qui t’a conseillé ce voyage dans les environs de Montréal ; que cela te ferait du bien ; que la ville n’est pas toujours bien bonne pour les jeunes gens qui n’ont pas d’expérience. Franchement, y a-t-il quelque chose là-dessous ?