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CHARLES GUÉRIN.

— Et cette supposition, Mademoiselle, n’a rien d’impossible, j’espère ?

Marichette devint rouge comme une cerise. La supposition qu’elle avait faite équivalait, malgré toutes ses réserves, à un aveu naïf et bien explicite ; et le ton satisfait avec lequel Charles lui fesait cette question, lui prouvait qu’elle n’avait été que trop bien comprise.

— Je vois bien, dit-elle après une assez long silence, qu’une petite fille de la campagne aurait bien de la peine à jouer un rôle de coquette ; et il vaut autant que je vous parle franchement que de chercher à vous cacher… ce que vous devinez si vite. Vous devez bien croire qu’après avoir reçu un peu d’éducation, j’ai dû vous apprécier… surtout en vous comparant à tous les garçons qui m’ont fait la grand’demande… comme on dit tout bonnement… et fussiez-vous moins aimable que vous n’êtes, (ici ce fut Charles qui rougit à son tour) vos attentions m’auraient toujours paru bien flatteuses…… Si vous m’eussiez parlé d’amour à votre arrivée, j’aurais cru que vous vouliez vous moquer de moi ; mais comme vous n’avez pas été trop poli, si je m’en souviens bien, dans les premiers jours, il faut qu’il y ait quelque sincérité dans ce que vous me dites…… Seulement si vous alliez vous tromper, ce serait bien peu de chose pour vous, n’est-ce pas… vous en seriez quitte pour avoir un peu honte, en vous-même (vos amis et le grand monde que vous voyez à la ville ne le sauront seulement pas) d’avoir été le cavalier d’une petite habitante, pendant une quinzaine de jours et tout serait dit… Tenez, avouez que votre air inquiet et votre peu de gracieuseté, chez le père Morelle, venaient justement de cela !.. Vous avez changé tout à coup, je le sais bien ; j’ai eu le tort de me faire un peu demoiselle pour vous plaire… je vous ai même récité mon grand rôle d’Athalie à force d’être tourmentée par mon père et par vous ; tout cela a changé vos premières impressions ; mais si j’allais redevenir Marichette ?…