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CHARLES GUÉRIN.

de tomber, (la neige suivant le dicton populaire, c’est le froid qui tombe) un vent léger embaumé par les exhalaisons des sapins, soufflait par intervalles, les étoiles par myriades scintillaient au firmament, le silence régnait partout, à moins qu’une corneille effarouchée ne s’élevât de temps à autre au coin d’un bois, en poussant un cri plaintif : enfin sur la vaste plaine blanche semblable à un océan de neige, qui s’étendait d’un horizon à l’autre, le jeune homme et la jeune fille pouvaient se croire seuls dans la Création, et ils auraient même pu se croire transportés dans un monde idéal, si de temps à autres les rudes secousses des cahots ne les avaient rappelés au sentiment de la réalité.

— Mon Dieu ! j’ai failli tomber hors de la voiture !… mais vous allez me dire au moins pourquoi vous m’avez fait partir si vite de chez le bonhomme Morelle, et pourquoi vous nous avez menés si grand train… vous trouviez donc cela bien ennuyeux ?……..

Marichette n’eût pas le temps d’en dire davantage. Ils étaient arrivés en ce moment à un endroit où il fallait passer un pont étroit jeté sur une petite rivière qui formait une coulée profonde. Le cheval s’arrêta brusquement et fit mine de retourner sur ses pas. Comme Charles essayait de lui faire franchir ce pas assez difficile, il s’apperçut, mais trop tard, de ce qui causait la terreur de la pauvre bête. À l’autre bout trois ou quatre sapins qui avaient été placés le long de la route, à différentes distances, pour servir de balises, avaient été entassés les uns sur les autres, de manière à obstruer complètement le chemin ; et sur un d’eux planté perpendiculairement, on avait étendu un grand drap blanc qui figurait une espèce de fantôme. Le jeune homme voulut alors rebrousser chemin ; mais le cheval était trop effrayé, il se cabra, puis se jeta tête baissée dans le précipice.

Le traîneau dans sa chûte frappa avec force contre les débris dfan vieux tronc d’arbre, et la violence de la secousse lança le