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CHARLES GUÉRIN.

la question, en formant lui-même la chaîne et en entonnant vigoureusement cette ronde bien connue :

Bonhomme, bonhomme,
Que sais-tu bien faire ?

Après cette danse bruyante et grotesque, c’en fut une autre, puis une autre, puis encore une. Dans chacune de ces rondes, il était toujours question :

D’un baiser à la plus belle.

Et quand le hasard conduisait Charles au milieu du cercle, ce baiser était invariablement destiné à Marichette, au grand dépit de la petite Rose Tremblay, qui ne manquait point de l’agacer chaque fois ; et qui finit par leur faire à tous deux des yeux aussi terribles que ceux que Junon fit au berger Pâris, lorsqu’elle conçut contre lui l’immortelle rancune, qui nous a valu l’Iliade et l’Enéide. La dernière fois, cependant, notre héros se sentit saisir par le bras… c’était la Mi-carême.

— Tiens, dirent plusieurs voix, la vieille est jalouse !

— C’est tout juste : c’est-i’pas sa blonde ?

V’là qu’a-i’dit des secrets à c’t’heure !… et tout le monde de rire et d’applaudir.

Charles en se baissant reconnut la mère Paquet, la duègne de Mariehette. « Monsieur Lebrun, lui dit-elle, m’a envoyé icite pour avoir soin d’mam’zeile Marie ; mais je peux pas rester plus longtemps. Les gens qui doivent me ramener vont partie. Défiez-vous ben, en vous en retournant, y en a qui veulent vous jouer queuqu’mauvais tour. »

Cet avis eharitable fut cause qu’une demi-heure après, Charles, avec celle qu’on lui donnait déjà pour fiancée, glissait rapidement sur la neige, emporté par un cheval vigoureux, qu’il excitait de la voix, et laissant loin derrière lui la maison du père Morelle, encore toute illuminée, et où l’on continua les rires, les chants et les danses presque jusqu’au jour.