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CHARLES GUÉRIN.

— Cré vieille sorcière, vas !

— Perdue la bouteille… le v’la qui l’embrasse !

— Vive la Mi-carême !

— Hourrah pour la Mi-carême !

— J’donnerais pas ça pour cent louis !

Charles s’était en effet exécuté, et en retour de son obéissance, il avait reçu aussi lui un cornet de bonbons. La vieille fit ainsi le tour de la salle, parlant à tout le monde avec la même franchise impertinente que son rôle autorisait. Aux enfans qui avaient veillé exprès pour recevoir cette visite impatiemment attendue depuis plusieurs semaines, elle fit des cadeaux calculés sur la bonne ou la mauvaise conduite de chacun d’eux. À ceux qui avaient été sages, des dragées ou du sucre ; à ceux qui avaient été méchans, des patates gelées ou des écales de noix soigneusement enveloppées dans du papier, mystification qui fesait beaucoup rire les parens, et pleurer les pauvres petits malheureux.

Quand la vieille eût épuisé sa besace et ses drôleries, quelqu’un proposa de terminer la fête par une danse ronde. Le bedeau, consulté là-dessus, donna comme son opinion que cela pourrait très bien se faire, attendu que ça n’avait pas été prémédité, et que, bien qu’il fût défendu de danser dans le carême, on pouvait se permettre, dans une occasion comme celle-là, une simple danse ronde ; d’autant plus, ajouta-t-il, que ça n’exigeait point de violons, et que personne au dehors ne pouvait être scandalisé. Il en serait bien autrement, s’il s’agissait de danser des menuets ou des reels, ou des gigues ou des rigodons. Cette morale un peu relâchée ne fut pas du goût de la Mi-carême. Une discussion théologique s’éleva entre ces deux personnages, et avant la fin de la thèse, le bedeau, tout bedeau qu’il fût, se serait peut-être vu enterré par les argumens de son adversaire, si le père Morelle n’avait point bravement tranché