Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
CHARLES GUÉRIN.

tionale, qui étend ses voiles au vent plus larges que jamais, et, secondée par la vapeur, peut faire parcourir au jeune aspirant l’univers en trois ou quatre stations ; le génie civil, les bureaux publics, la carrière administrative qui utilisent des talens d’un ordre plus paisible, les lettres qui conduisent à tout, et les beaux-arts qui mènent partout, voilà autant de perspectives séduisantes qui attendent le jeune français au sortir de son collége. Pour le jeune canadien, doué des mêmes capacités, et à peu près du même caractère, rien de tout cela ! Nous l’avons dit : son lit est fait d’avance ; prêtre, avocat, notaire ou médecin, il faut qu’il s’y endorme.

Pierre Guérin avait longtemps réfléchi sur cet avenir exigu, et comme il s’était dit à lui-même, qu’il ne ferait pas ce que tout le monde fesait, ou plutôt essayait de faire, il venait d’annoncer à son frère une séparation, pour bien dire éternelle. Charles, aussi peu décidé que Pierre l’était beaucoup, penchait cependant pour l’état ecclésiastique, vers lequel le portaient des goûts sérieux, une enfance pieuse et des manières timides, qui voilaient une ambition et des passions naissantes très dangereuses pour un tel état. Ajoutons qu’on avait promis de lui donner la troisième à faire, et que, sortant de sous la férule, il n’était pas fâché d’avoir à la manier à son tour. Cette considération, la pensée du respect qu’allaient lui porter dans quelques jours des camarades plus âgés que lui, qui, après l’avoir taquiné l’année précédente, ne lui parleraient plus dorénavant que chapeau bas, et jamais sans lui dire vous, et l’appeller monsieur ; l’orgueil qu’il éprouvait par anticipation des beaux sermons qu’il ferait quand il serait prêtre ; tout cela entrait pour plus qu’il ne le croyait lui-même dans ce qu’il appelait sa vocation.

Après en avoir reçu la confidence, Pierre avait combattu de toutes ses forces les projets de son frère. Destiné en apparence à la chasse à laquelle le futur régent de troisième n’était guère adroit, et à la pêche, amusement qui ennuyait prodi-