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CHARLES GUÉRIN.

attendent ; pendant c’temps là les jeunesses qui resteront icit’ vont s’mouver à faire la tire, parcequ’une Mi-carême ou une Sainte-Catherine sans tire, ç’aurait guère plus d’bon sens qu’un jour de Pâque en maigre.

Là-dessus le vieillard offrit galamment la main à la mère Tremblay, et avec non moins de grâce qu’en eût déployé en pareille occasion un seigneur de la cour de Louis XIV, il la conduisit à table.

Le coup et la croute dont il parlait si à son aise, consistaient en un souper où tout était servi avec profusion ; les énormes pâtés au poisson, les galettes appétissantes, les tartes de toute espèce, les ragouts et les plats de fricassée gigantesques se pressaient sur la nappe, et furent bientôt rejoints par les crêpes, que l’on apportait toutes bouillantes au sortir de la poële. C’était de véritables noces de Gamache ; excepté toutefois que Sancho Pança n’y aurait pas écumé la moindre poularde ; attendu que tout était scrupuleusement conforme à l’observance du carême. Le petit coup de bon rhum de la Jamaïque n’était pas oublié, et il y avait même à chaque extrémité de la table deux belles carafes pleines d’un vin blanc, que le bedeau assura valoir celui dont le curé se servait pour dire sa messe.

La partie la plus mûre de la société s’était placée à table, et par une exception faite en sa faveur, Charles, sur l’invitation expresse du père Morelle, s’était assis auprès de Mlle. Lebrun, qui, elle aussi, se trouvait ainsi séparée d’avec les autres jeunes personnes.

Les deux salles, celle où se donnait le repas, et celle où se faisait la tire, prirent bientôt l’aspect le plus gai et le plus animé. Dans l’une, c’était le choc joyeux des verres et des assiettes, les bons mots, les saillies heureuses, les bonnes vieilles histoires et les bonnes vieilles chansons du bon vieux temps. Dans l’autre, c’était les éclats de rire des jeunes garçons et des jeunes filles qui, tout barbouillés de melasse, se poursuivaient