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CHARLES GUÉRIN.

— C’est superbe, la vieille, mais ça doit manger aussi. Pourquoi ne dîne-t-elle pas avec moi ?

— C’est c’que j’y avons dit… mais c’est si peu fier, vous voyez ben… j’cré qu’elle estime mieux manger avé moé et les deux engagés, comme j’avons coutume.

— Où est-elle donc ?

— Elle est sortie pour aller joliment loin d’ousqu’elle reviendra pas avant une heure. Vot’soupe va frédir. Ça s’rait ben dommage. Mam’zelle Marichette arrange si ben l’ordinaire. C’est pas comme ces p’tites fillettes qu’ça fait les fières, épi qu’ça s’marie qu’ça sait tant seulement pas faire la soupe : comme par exemple la fille à…

— Mais c’est qu’elle doit avoir des prétendans en nombre, dites donc la bonne ?

— Jour du ciel ! que’qu’vous dites là ? Si elle voulait s’amuser aux garçons, la maison viderait pas. Elle a refusé Louison Martin, l’fils du meunier, et le garçon au bonhomme Richard… qu’c’est ben nommé richard ; car ça vous a des piastres à plein coffre… si c’était pas si crasseux, sauf vot’respect, ça roulerait-il un peu ces gens-là ?… J’avons encore refusé le petit Jean … le elerc notaire, et jusqu’au bedeau, qu’est veuf avé trois enfans, qu’est ben venu faire la grand’demande… parceque j’avons tant ri… j’avons tant ri !

— C’est qu’elle n’aime pas les garçons apparemment ?

— Ah que’qu’vous dites là, mon bon monsieur ? mais c’est dévot comme un ange c’t enfant là ! Par exemple quand elle aura dîné, elle prendra son beau livre de prières, épi elle ira passer l’après-dinée dans l’église… mais pourtant… vous comprenez ben… qu’c’est pas à dire que Mam’zelle Marichette s’marierait pas. Dame si ça s’adonnait… queuqu’un qui serait ben genti, épi qu’aurait ben d’l’inducation, épi un bon comportement… je dis pas qu’y aurait pas un’chance… mais c’est pas les jeunesses de par icite qu’auront c’te chance là.