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CHARLES GUÉRIN.

qu’elle pût jaser plus à son aise avec le beau monsieur, qui voulait lui faire la cour. Cette proposition faite à voix basse, fut accueillie par un froncement de sourcil et une petite moue très significative.

Charles essaya plusieurs sujets de causerie. Il reçut à chacune de ses phrases une réponse parfaitement convenable ; mais pas un mot, qui tendît à prolonger ou à ranimer la conversation. — Après un petit quart d’heure, il abandonna la partie et se retira dans une fenêtre, où il se mit à battre la mesure sur les vitres, en même temps qu’il fredonnait quelques couplets entre ses dents. De fenêtre en fenêtre, il fit ainsi le tour de la maison. Il en était rendu à la dernière fenêtre et à son dernier couplet, lorsque la vieille femme vint lui dire que le dîner était servi. Il se retourna et fut tout surpris de voir dans la principale chambre où il était, une table très proprement mise, mais avec un seul couvert.

— Où est M. Lebrun, demanda-t-il ?

— Il est allé au bois.

— Il m’avait promis de m’emmener.

— Ah ben oui, c’était ben aisé aussi de vous emmener. Il aurait donc fallu emporter vot’lit. J’avons été cinq ou six fois pour vous réveiller, et vous nous avez parlé de toutes sortes de choses ous’que j’avons pas compris un mot, ni une parole.

— C’est bon… mais la demoiselle, est-ce qu’elle ne dîne Pas ?

— Mam’zelle Manchette ? Sûrement qu’elle dînera avec nous autres. Seigneur de Dieu que c’est pas fière c’te créature-là ! Ça pourtant été induqué comme c’est rare. Ça chante comme un rossignol, ça coud, épi ça brode, épi ça file, épi ça tricotte comme une invention. Ça lit dans les plas gros livres, ça sait son catéchisme mieux que d’aucuns curés… épi ça jase, épi ça prêche, épi…