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CHARLES GUÉRIN.

lette, voir la demoiselle Lebrun, dans le costume le moins recherché, courir de la maison à la grange, de la grange à l’étable, de l’étable à la laiterie, de la laiterie à la demeure peu élégante du plus prosaïque de tous les quadrupèdes, et cela avec une alacrité et une gaîté qui ne trahissaient certainement pas le moindre dégoût.

Voilà, pensa-t-il, une petite fille qui a bien du mérite. Au moins, puisque je ne veux pas me compromettre avec elle, il faudra que je tâche d’être convenable à son égard. Cette concession faite, en lui-même, l’étudiant sortit de sa chambre, aussi beau, aussi frais, que les instrumens de toilette à sa disposition lui avaient permis de se faire, et daigna porter ses pas vers la première pièce de la maison, qui servait de cuisine et de salle d’entrée, et bien souvent de salle à dîner, comme c’est le cas partout dans nos campagnes.

Marichette venait de rentrer. Elle avait perdu le moins de temps possible, et déjà elle était assise sur une ehaise avec une autre chaise devant elle, occupée à couper par petites tranches un gros pain, qui devait faire partie de la soupe aux pois de rigueur. L’attitude qu’elle avait, était tellement dépourvue de toute grâce et de toute coquetterie, que, pour la conserver en présence du jeune homme, il lui fallait un courage que nos lectrices apprécieront, nous en sommes certains.

Charles avec un air tout à fait bienveillant, lui adressa quelques phrases banales sur le trouble qu’elle se donnait, complimens auxquels elle répondit en s’informant poliment de sa santé, sans toutefois lever à peine les yeux de sur le panier de bois dans lequel elle faisait tomber les petites tranches de pain, une à une.

La vieille voisine avait été retenue à la ferme par une prudence bien louable de la part du maître de la maison. Cette duègue d’une nouvelle espèce, crut faire plaisir à la jeune fille en lui offrant de se charger de toute sa besogne, pour