Page:Chauveau - Charles Guérin, roman de mœurs canadiennes, 1853.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
CHARLES GUÉRIN.

lequel, lui, donnerait le bonheur, la richesse, la considération à une jeune fille pauvre et obscure, qui lui devrait tout, et dont la vie ne serait qu’un tissu d’amour et de reconnaissance ? D’ailleurs parmi les romans que lui faisait lire son ami Voisin, il ne s’en trouvait pas un seul, où l’homme fut obligé à la femme pour son existence, au contraire, l’héroïsme et le désintéressement procédaient toujours de la plus vilaine portion du genre humain. Il en était de même aussi dans toutes les romances qu’il entendait chanter. Une jeune fille n’avait jamais autre chose à donner que son cœur. En conséquence Mademoiselle Wagnaër avec sa taille élancée et ses cheveux noirs, et malgré sa dot, ou plutôt à cause de sa dot ne fit qu’une bien courte apparition dans les rêves de Charles Guérin. Il ne fut pas amoureux d’elle plus de quinze jours.

En même temps disparut la belle passion de l’étude du droit, passion peu durable de sa nature, nous l’avouons, et qui a besoin d’être excitée et fortifiée par quelque puissant motif.

Dès ce moment, notre héros prit place parmi cette nombreuse catégorie d’étudians qui, suivant l’expression tout-à-fait pittoresque de M. Dumont, font leurs études à cheval sur un roman. Disons à la louange de Charles qu’il multipliait les relais, et qu’il dévorait avec une inconcevable rapidité volumes après volumes ; dans un de ces livres, il lui arriva une fois de rencontrer un couple d’amoureux, qui s’étaient vus la première fois de leur vie, dans un bois, en faisant chacun de son côté, une excursion botanique. L’auteur profitait de cette circonstance, pour intercaler dans son ouvrage un éloge pompeux de la Flore de son pays ; trois ou quatre chapitres étaient occupés par des descriptions scientifiques, dans lesquelles on n’avait pas omis le moindre graminée de la terre natale. Charles trouva cela admirable, et il se prit à l’instant même d’une passion tout à fait touchante pour la botanique. Il lui fallait un herbier, sans cela il ne pouvait plus vivre. Le temps était