mot, une ligne, un coup d’œil, un son, un rayon de soleil, un souvenir, suffisent pour éveiller dans notre âme un goût nouveau qui devient de suite impérieux, irrésistible. Et voilà que sans raison, sans motif apparent, sans l’avis de personne, et souvent contre l’avis de tout le monde, on met de côté ou l’on néglige une étude importante, des affaires sérieuses, une perspective honorable ou lucrative, pour se livrer tout entier à la chimère qui nous poursuit. Et l’homme charitable qui viendrait nous avertir de notre erreur, celui qui voudrait chasser cette vilaine chimère qui s’est cramponnée à notre imagination, celui-là, nous vous l’assurons, serait fort mal reçu. Il n’y aurait point d’épithète assez forte, de procédé assez brusque pour lui exprimer tout le mécontentement qu’il nous cause. Pendant quelque temps c’est un zèle, une ferveur, une activité dévorante pour l’étude, la personne, le divertissement, la passion ou la chose quelconque dont on s’est épris. Tout se rapporte à cette chose : ce qu’on lit, ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on rêve ; cette chose-là est dans tout. On prend en grippe tout ce qui ne s’assimile pas à l’unique pensée que l’on a. Ne me parlez point de ceci : je ne saurais m’occuper de cela ; voilà l’argument sans réplique avec lequel on repousse tout ce qui ne tombe pas dans nos idées du moment. On suppose aux autres bon gré mal gré la même passion ; on les entretient sérieusement de sa chimère, on les en croit enthousiasmés, on le croit tout de bon ; c’est comme un verre coloré que l’on porterait sur les yeux et qui nous ferait tout voir d’une même couleur.
Un bon matin cependant, et c’est presque toujours au moment où l’on goûte les plus douces jouissances, au moment où l’on a déjà triomphé des plus insurmontables obstacles, au moment où l’on est sur le point de recueillir quelques fruits de ses peines, on se réveille sans sa chimère !… Qu’est-elle devenue ? Est-elle sortie par la porte, par la fenêtre, ou par la