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En cette manière je les laisse à se battre
et je m’en vais vous parler de Thésée.

La destinée, universel ministre,
qui exécute de par le monde entier
ce que dans sa providence Dieu a vu d’avance,
est si forte que, quand bien même le monde eût juré
le contraire d’une chose, par oui ou par non,
pourtant il arrive qu’un jour échoit cette même chose
qui point n’écherra de nouveau en un millier d’années.
1670Car il est certain que nos désirs ici-bas,
qu’ils soient de guerre ou de paix, de haine ou d’amour,
tous sont régis par ce regard d’en-haut.
Voilà ce que je montre à présent par le puissant Thésée,
qui a une telle passion pour courre,
le grand cerf surtout, au mois de Mai,
qu’en son lit ne le surprend l’aube d’aucun jour,
qu’il ne soit équipé et prêt à chevaucher
avec veneurs et cors, et meute de limiers.
Donc à la chasse il goûte telle jouissance
1680qu’il met toute sa joie et son désir
à être lui-même, pour le grand cerf, mort et fléau,
car, après Mars, il sert maintenant Diane.

Clair était le jour, comme j’ai dit plus haut,
et Thésée, en toute joie et ravissement,
avec son Hippolyte, la belle reine,
et Émilie, tout de vert habillée,
pour courre le cerf chevauchaient royalement.
Et vers le bosquet, qui lors était tout près,
où était la bête, comme on lui avait dit,
1690le duc Thésée tout droit s’était rendu.
Et vers la clairière il pousse tout franc,
car c’est là que le cerf soûlait prendre sa course,
et, sautant un ruisseau, de poursuivre sa voie.
Le duc veut le charger une fois ou deux
avec des chiens, autant qu’il lui plaît de lancer.
Et quand le duc arrive à la clairière,
sous le soleil il regarde et soudain
il aperçoit Arcite et Palamon