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et fallacieusement changé ton nom ;
je voudrais être mort ou te voir mourir.
Point n’aimeras ma dame Émilie,
que je veux aimer seul et sans partage ;
1590car je suis Palamon, ton mortel ennemi.
Et, bien que je n’aie pas d’arme en cet endroit,
venant de m’échapper de prison par grâce de fortune,
de deux choses je ne doute point : ou tu mourras,
ou tu renonceras à aimer Émilie.
Choisis ce que tu veux, car point ne m’échapperas. »
Arcite, le cœur plein de dépit,
quand il l’eut reconnu et qu’il eut entendu son histoire,
avec la rage d’un lion, tira son épée
et dit : « Par Dieu, qui siège au haut du ciel,
1600n’était que tu es malade et fou d’amour,
et que tu te trouves ici sans armes,
tu ne mettrais pas le pied hors de ce bois
sans risquer de mourir de ma main.
Car je dénonce l’engagement et l’accord
que tu dis que j’avais conclus avec toi.
Donc, fol avéré, songe bien qu’amour est libre,
et que je l’aimerai, malgré tous tes efforts !
Mais, considérant que tu es un digne chevalier,
et que tu veux qu’elle soit le prix d’une bataille,
1610reçois ici ma foi que, demain sans y manquer,
sans en parler à âme qui vive,
ici même je te viendrai trouver, en chevalier,
apportant de harnois ce qu’il en faut pour toi ;
tu choisiras les meilleures armes, me laissant les mauvaises.
Manger et boire, dès cette nuit, t’apporterai
à ta suffisance et drap pour ton couchage.
Et, s’il advient que tu conquières ma dame,
et me tues en ce bois où je suis,
tu pourras avoir ta dame, pour ce qui est de moi. »
1620Palamon répondit : « Je te l’accorde. »
Ainsi se quittèrent-ils jusqu’au lendemain,
jour sur lequel l’un et l’autre avaient engagé leur foi.

O Cupidon, dépourvu de toute charité !
O roi qui veux régner sans compagnon !