Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et, par crainte de mort, point ne me priverai
de voir ma dame, que j’aime et que je sers ;
en sa présence je n’ai cure de mourir. »

    Ce disant, il prit un grand miroir
1400et vit que son teint était tout changé,
et vit que sa face était tout altérée.
Et tout aussitôt il lui vint à l’esprit
que, le visage ainsi défiguré
par la maladie et la peine endurée,
il pourrait bien, en jouant humble personne,
vivre à Athènes sans être jamais reconnu
et voir sa dame presque chaque jour.
Et tout aussitôt il changea son vêtement
et s’habilla en pauvre artisan,
1410puis, sans autre compagnie qu’un seul écuyer
qui savait son secret et toute son histoire,
et déguisé aussi pauvrement que lui,
il se rendit à Athènes par le plus court chemin.
Un beau matin, il arriva à la cour,
et, sous le grand porche, offrit ses services
« pour tirer, ou pour traîner », suivant ce qu’on voudrait.
Afin de conter brièvement cette matière,
il tomba au service d’un chambellan
qui demeurait en la maison d’Émilie.
1420Il était avisé, et sut bientôt discerner
entre tous les serviteurs celui qui servait chez elle.
Il était bien capable de fendre du bois et de porter de l’eau,
car il était jeune et vigoureux au besoin
et de plus était fort et bien charpenté
pour faire ce que chacun lui pouvait commander.

    Il passa un an ou deux en ce service,
page de chambre d’Emilie la Brillante,
et il disait qu’il avait nom Philostrate.
Il y fut de moitié plus aimé que jamais
1430homme ne le fut à la cour, de même condition ;
il était si gentil en toutes ses manières
que par toute la cour il avait bon renom.
On y disait que ce serait charitable action