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CONTE DU CHEVALIER.

et s’il était arrêté, il fut entre eux convenu
que par l’épée il perdrait sa tête ;
n’était nul autre recours ni remède
que de prendre congé, et en hâte de rentrer chez lui ;
qu’il prenne garde que son cou est en péril !

    Quelle grande peine souffre maintenant Arcite !
1220Il sent la mort lui percer le cœur ;
il pleure, gémit et crie pitoyablement ;
il attend l’occasion de se tuer privéement.
Il disait : « Hélas ! le jour où je naquis !
Maintenant ma prison est pire qu’auparavant ;
maintenant ma destinée est de vivre éternellement,
non pas au purgatoire, mais en enfer.
Hélas ! faut-il que j’aie jamais connu Pirithoüs !
Car autrement je serais resté chez Thésée,
enchaîné dans sa prison pour toujours.
1230Alors j’eusse été dans le bonheur, et non dans le malheur.
La vue seule de celle que je sers,
quoique je ne puisse jamais mériter sa faveur,
aurait suffi bien assez pour moi.
Ô mon cher cousin Palamon, (disait-il),
à toi la victoire en cette aventure ;
tu peux en toute félicité rester en prison ;
en prison ? non certes, mais en paradis !
La fortune a bien tourné les dés pour toi,
qui as la vue de cette dame, et moi, l’absence.
1240Car il est possible, puisque tu as sa présence,
et que tu es chevalier vaillant et habile,
que par quelque hasard, car la fortune est changeante,
tu atteignes quelque jour ton désir.
Mais moi, — qui suis exilé, et privé
de toute grâce, et dans un si grand désespoir
qu’il n’est ni terre ni eau, feu ni air,
ni créature faite de ces éléments,
qui me puisse donner aide ou réconfort en ceci, —
je dois vraiment mourir dans la douleur et le désespoir ;
1250adieu ma vie, mon plaisir et ma joie !
    Hélas ! pourquoi les gens se plaignent-ils si communément
de la providence divine, ou de la fortune,