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Conte du Chevalier.


Iamque domos pairias, Scithicae post aspera gentis
Prelia laurigero, etc. [Statius, Theb., XII, 519].


    Jadis, nous content les vieilles histoires[1],
860 il y avait un duc qui se nommait Thésée.
D’Athènes il était seigneur et gouverneur,
et fut en son temps un tel conquérant
qu’un plus grand n’était pas sous le soleil.
Il avait gagné mainte et mainte riche contrée ;
tant par sagesse que par prouesse,
il conquit tout ce royaume de Féminie[2],
qui s’est autrefois appelé la Scythie ;
et il épousa la reine Hippolyte,
et la ramena avec lui dans son pays
870 avec beaucoup de pompe et en grande solennité,
et avec elle sa jeune sœur Émilie.
Et ainsi en un cortège de victoire et de musique,
laissons le noble duc chevaucher vers Athènes,
et tout son ost, en armes, autour de lui.

    Certes, si ce n’était trop long à entendre,
je vous aurais dit tout au plein la manière
dont fut conquis le royaume de Féminie
par Thésée, et par sa chevalerie ;

  1. « Les vieilles histoires » auxquelles Chaucer se réfère sont la Thébaïde de Stace dont il traduit directement quelques vers, et surtout la Teseide de Boccace. D’après un fragment qui a été conservé sous le titre d’Anelida et Arcite, il semble que Chaucer eût d’abord composé une imitation fidèle du poème italien, rendant en stances les stances de l’original. Il remania cette ébauche pour en faire son conte du chevalier, écrit en distiques. Il transposa le mode lyrique en ton narratif, résuma en quelques vers les aventures de Thésée qui n’intéressaient pas l’histoire des amours de Palamon et d’Arcite (d’où les excuses réitérées qu’il fait au début pour passer outre), et réduisit le tout au roman d’amour qui a son héroïne en Émilie. Du conte de Chaucer Shakespeare et Fletcher ont tiré leur pièce des Deux nobles cousins (The two noble Kinsmen).
  2. Féminie était le nom jadis fréquemment donné au royaume des Amazones, qui avaient pour reine Hippolyte.