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LE PROLOGUE.

si je n’ai point placé les gens selon leur rang
ici en mon récit, comme ils le devraient être ;
mon esprit est petit, vous vous en apercevez bien.


    Grande fête fit notre hôte[1] à chacun de nous,
et au souper nous fit asseoir tout de suite,
et nous servit à manger du meilleur.
750Le vin était fort, et nous bûmes sans nous faire prier.
Un fort digne homme était notre hôte à tout prendre,
fait pour être majordome d’une salle de festin.
C’était un homme corpulent, aux yeux brillants ;
de plus beau bourgeois, il n’en est point dans Cheapside[2] :
le verbe hardi, et sage, et bien instruit ;
et de ce qui fait l’homme rien certes ne lui manquait.
D’ailleurs c’était aussi un bon vivant,
et après souper il se mit à plaisanter,
et tint joyeux devis entre autres choses,
760lorsque nous eûmes réglé notre compte,
et dit : « Eh bien, Messeigneurs, en vérité,
vous êtes pour moi de tout cœur les bienvenus ;
car sur ma foi, si je ne dois mentir,
je n’ai vu de cette année si joyeuse compagnie
réunie en cette auberge, qu’à présent.
Volontiers je vous mettrais en joie, si je savais comment ;
et d’un amusement je viens de m’aviser
qui vous égayera, et ne vous coûtera rien.
Vous allez à Canterbury ; Dieu vous aide !
770Le bienheureux martyr vous récompense !
et j’en suis sûr, le long du chemin,
vous voulez vous dire des contes, et vous réjouir ;
car vraiment, il n’est point d’agrément ni de joie
à chevaucher par les chemins muet comme pierre ;
Et c’est pourquoi je veux vous amuser,
comme je l’ai dit, et vous donner quelque plaisir.
Et s’il vous plaît à tous, d’un seul accord,
maintenant de vous soumettre à ma décision,
et d’en faire ainsi que je vous le dirai

  1. Notre hôte, c’est-à-dire l’hôtelier du Tabard.
  2. Rue habitée par la grosse bourgeoisie commerçante, dans la cité. Southwark où se trouvait le « Tabard », n’était qu’un faubourg.