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LES CONTES DE CANTERBURY.

Il aimait fort l’ail, les oignons, et aussi les poireaux,
et à boire du vin fort, rouge comme le sang.
Alors il parlait, et criait comme s’il était fou.
Et lorsqu’il avait bien bu son vin,
alors il ne disait plus un mot qu’en latin.
Il possédait quelques termes, deux ou trois,
640qu’il avait appris dans quelque décret ;
rien d’étonnant à cela, il l’entendait toute la journée ;
et puis, vous savez bien qu’un geai
peut appeler « Wat »[1], aussi bien que le pape.
Mais qu’on pût le tâter sur d’autres choses,
alors il avait dépensé toute sa philosophie ;
et toujours, « Questio, quid juris ?[2] » s’écriait-il.
C’était un aimable drille, et de bon cœur ;
de meilleur compagnon, on n’en saurait trouver.
Il permettait, pour un quart de vin,
650qu’un brave garçon gardât sa concubine
toute une année, et l’excusait entièrement.
Il savait aussi plumer en secret un oison.
Et s’il trouvait quelque part un joyeux gaillard,
il lui enseignait à n’avoir nulle crainte,
en pareil cas, de l’excommunication de l’archidiacre,
à moins que l’âme de l’homme ne fût dans sa bourse ;
car dans sa bourse il serait puni.
« La bourse est l’enfer de l’archidiacre », disait-il.
(Mais je sais bien qu’il mentait, en fait ;
660de l’excommunication tout coupable doit avoir peur —
car l’excommunication tue, tout comme l’absolution sauve —
et aussi, prendre garde au « Significavit »[3].)
Il avait sous son contrôle, à sa guise,
les jeunes gens et jeunes filles du diocèse,
et savait leurs secrets, et était leur meilleur conseiller.
Il s’était mis sur la tête une guirlande,
aussi grande qu’une enseigne de cabaret[4] ;
il s’était fait un bouclier d’une miche.

  1. Abréviation familière de Walter.
  2. Formule juridique très commune, signifiant : la question est, quelle est la loi ? (sur le point en cause).
  3. Premier mot de la formule ordinaire des excommunications.
  4. Ces enseignes étaient souvent faites de cercles entre-croisés et ornés de fleurs ou de rubans.