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qui mena ce prêtre à la ruine.
Ce chanoine fourbe s’en vint un beau jour
en la chambre où couchait le prêtre,
le suppliant de lui prêter certaine somme
d’or, en promettant qu’il s’en acquitterait.
« Prête-moi un mark (dit-il), rien que trois jours,
et au jour dit je te le repaierai,
et si tant est que me trouves trompeur,
une autre fois me feras pendre par le cou ! »
1030 Le prêtre lui donna un mark[1], et cela aussitôt ;
notre chanoine maintes fois lui dit merci,
puis prit congé et alla son chemin,
et le tiers jour rapporta son argent,
rendit au prêtre l’or qu’il avait reçu,
dont celui-ci fut étrangement heureux et content.
« Certes (dit-il), il ne me gêne en rien
de prêter à quelqu’un un noble[2], ou deux, ou trois,
ou n’importe quoi se trouvant en ma possession,
lorsqu’il est de disposition si loyale
1040 qu’il ne voudrait aucunement manquer à l’échéance :
à tel homme ne pourrai-je oncques dire non. »
— « Quoi (dit le chanoine), pourrais-je être déloyal ?
Hé ! ce serait chose toute nouvelle !
Loyauté est chose que toujours garderai
jusques au jour où je descendrai
dedans ma tombe, à Dieu ne plaise qu’il en soit autrement !
croyez ceci non moins sûr que votre Credo.
Merci Dieu, ceci soit dit à la bonne heure,
nul homme jamais n’a eu à se plaindre
1050 pour or ou pour argent qu’il m’eût prêté,
et jamais en mon cœur n’ai médité tromperie.
Or ça, monsieur (dit-il), entre nous maintenant,
puisque vous fûtes si généreux envers moi
et me marquâtes si grande gentillesse,
pour reconnaître un peu votre bonté,
je vais vous faire voir, et, s’il vous plaît d’apprendre,
je vous enseignerai clairement la façon
dont je travaille à la philosophie

  1. Le mark valait 13 shillings 4 pence, soit les deux tiers de la livre sterling.
  2. Le noble valait 6 shillings 8 pence, soit la moitié du mark.